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8 mars 2010 1 08 /03 /mars /2010 16:42
  1975-1976. Calais-Avignon-Grenoble

C'est toujours l'artiste qui parle :

" Dans ces années-là, j'avais beaucoup lu Maïakovski, avec la notion de commande sociale, c'est-à-dire : pas de commande explicite, mais de commande que la société porte en elle-même.
Je pensais que la coupure qu'il y avait entre l'Art en train de se faire et la grande majorité de la communauté tenait au fait que l'Art se développait à cent lieues des gens, du quotidien. Il fallait le réinscrire dans la vie des gens.
Et, donc, j'ai cherché à provoquer, à susciter des commandes sociales de cet ordre.
J'ai fait  un travail avec la ville de Calais sur le climat qui y régnait quand le chômage commençait à se développer, à cause de la fermeture des usines de dentelle. Une espèce de désespoir s'installait dans cette ville...

A cette même période, on commençait à parler des sans-papiers, des immigrés, des marchands de sommeil et tout ça. J'ai donc fait à Avignon un travail lié à un groupe de travailleurs algériens, en travaillant avec eux, en les écoutant.
L'image était née complètement du dialogue avec eux sur la réalité, du fait qu'il y avait une volonté de les ignorer, quoi, comme s'ils n'étaient là que comme des outils et c'est la première fois - encore que pour la Commune j'aie collé des images à même le sol - que j'ai mis une image à des endroits où l'on ne regarde même pas et que j'ai fait ce soupirail à ras du sol avec ce visage d'homme qui nous regarde.

Et puis j'ai fait un travail à Grenoble avec des comités d'entreprise de grandes usines. Le thème est né là aussi de l'atelier collectif, de dialogues. L'idée s'est imposée de travailler, non pas sur les accidents de travail, parce qu'ils disaient : " Ah bah, s'il y a un type qui se prend la main dans la machine, on arrête, on fait grève ", mais sur des choses qui détériorent l'organisme au bout de décennies de travail, comme le bruit, certaines fumées, certaines pollutions et tout ça. C'est cette idée de maladies insidieuses qui détruisent l'organisme au cours des années. J'étais dans cette période où j'essayais de travailler sur les drames qui détruisent les gens.
C'est à dire que je pensais que l'Art est une investigation de l'imaginaire, des formes de l'invention plastique. Alors je ne voyais pas pourquoi des thèmes comme cela s'y prêtaient moins que ... des pommes, quoi !  Voilà.

                                                                                                 ***

   Rimbaud. 1978

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Dès quatorze ou quinze ans (comme tout le monde, c'est une banalité !), j'avais lu Rimbaud et j'avais été bouleversé. Mais le dessiner... je sentais que je ne pouvais le faire qu'avec une image qui ne devait pas le figer !
Quand tu arrives à Charleville, qu'il y a un Rimbaud en marbre, ou en bronze à Paris, tu te dis que c'est con, quoi ; c'est comme si c'était la négation de Rimbaud !
Et c'est vrai que le coller aussi bien à La Défense que sur la route entre Charleville et Paris, avec l'idée de l'Homme Qui Marche, du marcheur, c'est ce type de pratique qui m'a permis de tenter de faire un portrait de Rimbaud, d'en faire une image éphémère et fulgurante !
Ce côté fugitif, cette mort annoncée, c'est ce qu'il y avait de plus rimbaldien dans la proposition de mon "Parcours Rimbaud".

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Quand on a collé le Rimbaud au Boulevard Saint-Michel au milieu de la nuit, très tard, il y a un car de police qui est arrivé, avec le chef du fourgon qui est descendu et qui s'est mis à vachement gueuler... Puis ils sont descendus à six ou sept flics et il y en a un très jeune, vingt-cinq ou vingt-six ans, qui a dit : " Ah ! mais c'est Rimbaud ! ", comme ça.
Alors tous les autres flics le regardent, étonnés et il me dit : " Vous savez, j'adore Rimbaud, vraiment ! Vous me feriez un plaisir fou si vous me donniez cette image. "
Moi, j'étais dégueulasse, plein de colle, tu vois, les autres types étaient vexés de voir que ce type me quémandait une image et il m'a dit : " Allez-y, collez-la, hein ! "    

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Mon travail est bâti beaucoup sur la qualité de la rencontre, le face-à-face. J'espère que ça provoque une émotion. Dans ce face-à-face, il y a une part de sensualité, oui, une grande présence du corps.

                                                                                                   ***

Les expulsés. 1979

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Je trouve que ça, c'est l'exemple de ce que porte mon travail en général. C'est-à-dire que sur les murs, il y a des traces de la vie des gens, des choses d'une qualité plastique et émotionnelle très, très forte.
Là, le matelas, c'est l'idée de l'exode. On a des souvenirs de ces photos de carrioles avec des matelas.
Et puis c'est l'idée de l'intimité, du foyer, le matelas.

De la même façon, j'ai mis sous le bras de la femme un cadre, comme on voit dans certaines familles la photo de mariage et puis on y a greffé les photos des enfants et des petits-enfants, l'histoire, quoi, la mémoire d'une famille.
Et elle part avec ça sous le bras, comme chassée de son histoire...

Les-expulses--.jpg

Quand je suis allé coller cette image, il y avait encore des poutres et des trucs écroûlés et j'ai marché sur le mur à partir de ces poutres pour aller la coller là-haut.
C'était intéressant parce que, là, tu étais confronté au Sheraton : tu avais des images d'expulsés sur des façades perdues et, juste à côté, on voyait les grandes lignes du Sheraton !
La relation entre mes images et l'endroit où je les colle était à la fois d'un plus grand impact et plus évidente, tu vois, et puis on touchait plus les gens parce que lorsqu'on voyait le papier peint... on voyait une chambre d'enfant, des choses intimes mises à nu, comme ça ; ça avait un caractère un peu comme un viol, c'est d'une très grande violence, ces immeubles coupés !
Et au fond, l'impact le plus fort, ce qui interpelait les gens, c'était à mon sens bien plus ces tapisseries, ces restes, que mes images qui venaient là comme un simple révélateur.

Mon travail est toujours un peu bâti comme ça, si on peut le résumer : c'est une espèce d'appréhension du réel, dans toute sa complexité. Ce qui se voit, ce qui ne se voit pas, l'histoire que je viens glisser dedans, un élément de fiction qu'est mon image et l'oeuvre.
La force éventuelle de mon travail, c'est ça, c'est ce que va provoquer cet élément de fiction dans le réel.  " 


Grand bonhomme, non ? La suite 4, bientôt !

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1 mars 2010 1 01 /03 /mars /2010 11:18
Que Tania Brimson me permettre de copier/coller le texte de sa critique de cette magnifique exposition :
C'est la vie au musée Mailhol 
61 rue de Grenelle, 75007 Paris
 Tous les jours, sauf le mardi de 10h30 à 19h 


C-est-la-vie--.jpg

"""     "Vanitas vanitatum", "Ubi sunt ?", "Carpe diem" ; bref, "Prends le temps car le temps te prendra".
L’homme compte peut-être autant de devises pour le mettre en garde contre sa finitude que Damien Hirst de gemmes sur son ‘For the Love of God’ : un crâne, serti de quelque 8.000 diamants qui vous brillent sournoisement à la face.
Et voilà, plus brutal que le plus cinglant des dictons, derrière son strass et ses paillettes, le dernier sacrilège de l’artiste britannique rappelle que rien ne renvoie l’homme aussi cruellement à sa mortalité qu’une tête de mort au sourire narquois.
Frappée de l’air du temps, cette nouvelle icône bling-bling du XXIe siècle (déclinée ici en photographie) est prise au musée Maillol comme point de départ pour retracer la représentation des vanités dans l’art occidental. Car tout comme la boîte crânienne se mêle, avec Hirst, à la critique d’une société de consommation où même la mort a été tuée par la corruption des moeurs, il suffit de remonter le temps pour s’apercevoir que, depuis Pompéi, l’iconographie macabre a toujours reflété les us, les catastrophes et les aléas de l’histoire. Toujours inspiré, aussi, les plus grands artistes, du Caravage à Jan Fabre, de Braque à Boltanski. Religieuse lorsque l’Eglise catholique s’en sert comme arme de propagande en pleine Réforme, le parcours montre comment la vanité se sécularise après la Révolution et le "Dieu est mort" de Nietzsche, prenant des connotations plus philosophiques, plus individualistes.
Puis, les débâcles de la modernité, 1914-18, la Shoah, les années sida, la rattachent de nouveau aux angoisses collectives, avant qu’elle ne s’empêtre dans la dérision postmoderne. Une dérision ressentie dans cette exposition bourrée de chefs-d’oeuvre, qui revisite l’histoire de l’art en mettant clairement l’accent sur l’art contemporain. Et qui dégage par là-même un propos plus profond ; memento mori, ("Souviens-toi que tu mourras") tout simplement.
Pour un hymne grinçant à l’art, et à la vie. """
                                                                                            
                                                                                              ***
A propos de vanités, je conseille la lecture du dernier livre du regretté Jacques Chessex (Grasset, décembre 2009 ),
" Le dernier crâne de M. de Sade " dont le narrateur est obsédé.

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" ... un crâne, c'est une Vanité plus ironique, plus tenace, plus nouée sur son os arrondi, ses orbites creuses et le rire de sa mâchoire en ruine, qu'aucun autre objet de désir ou de répulsion, masque ou jouet mensonger, tout juste capable de me distraire provisoirement de mon vrai sort ."  
                                                                                                     ***

Bon, promis, je reviens bientôt avec la suite 3 sur Ernest Pignon-Ernest que d'aucuns me réclament à juste raison !


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17 février 2010 3 17 /02 /février /2010 17:22

Salon de la Jeune Peinture - 1972

( Laissons encore la parole à l'artiste )

" Après avoir fait le collage de la Commune, j'ai été invité par le Salon de la Jeune Peinture.
Je n'étais pas dans le milieu de la peinture, mais du théâtre. La peinture, je ne connaissais pas.
Ils m'avaient dit que le thème était le monde du travail mais ils étaient très embêtés : on leur confiait le Grand Palais pour 12 jours et ils étaient agacés que ce soit seulement 12 jours. Ils vivaient ça comme un handicap, comme un manque de respect pour leur travail.
Je me suis dit : tout le monde est focalisé sur ces 12 jours, alors je vais m'en servir comme d'un élément dramatique - comme on dit au théâtre.
A ce moment-là, il y avait 13 morts d'accidents du travail par jour, sur les chantiers, dans les usines, les mines ; c'était une moyenne.
Alors j'ai demandé une salle entière et j'y ai fait une installation, ce qui ne se faisait pas à cette époque-là.
J'ai dessiné un homme anonyme et j'en ai mis le nombre de ceux qui allaient mourir d'accident du travail pendant la durée de l'exposition et, chaque jour, j'en barrais 13, ce qui faisait que l'oeuvre ne pouvait durer que juste le temps de l'expo.. La salle était remplie et ça faisait 156 !
Personne ne le croyait. C'est à dire que l'ampleur de l'hécatombe était vue à travers le sentiment que c'était très court et en même temps ça donnait une mesure. Parce que lorsqu'on nous donne un nombre de morts, on n'a jamais de repère, on dit " 100.000 ", et voilà.
Là, on disait : c'est très court, mais en même temps les gens ne le croyaient pas, ils disaient : non, mais ce n'est pas possible !
Il y avait une espèce de visualisation, d'incarnation du massacre qu'étaient les accidents du travail à ce moment-là : 700 mutilés et 13 morts par jour soit 1 toutes les 40 minutes... "

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                                                                                                  ***

Jumelage Nice - Cap Town  - 1974

( Le 6 Juillet 1974, le maire de Nice Jacques Médecin signe le jumelage entre sa ville et celle du Cap, quelques mois après que les Nations Unies ont qualifié le régime de l'Apartheid de crime contre l'Humanité ! )

"  Moi, je suis très attaché à Nice et à son côté cosmopolite. Je suis petit-fils d'immigrés italiens et l'histoire de Nice c'est Garibaldi, Blanqui, tout ça. Alors j'étais consterné ! Nice était la seule ville au monde qu'on avait osé jumeler avec l'Afrique du Sud de l'Apartheid qui était mise carrérnent au banc de l'humanité...
Quand j'ai appris qu'il allait y avoir des tas de manifestations autour de ce jumelage et qu'il y aurait des représentants de l'Afrique du Sud, notamment l'équipe de rugby, j'ai préparé une image.
Je suis parti du dessin d'une famille entière derrière des barbelés. J'ai imprimé (avec Yvette sa compagne) plusieurs centaines de ces sérigraphies et je suis parti à Nice avec des amis que j'avais prévenus.
Nous avons collé toutes ces images, depuis la mairie où étaient prévues les manifestations officielles, jusqu'au stade où aurait lieu la plus visible : le match avec les Springboks.
Donc, sur tout leur parcours, les officiels sont passés devant ces images de noirs derrière des barbelés...

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J'ai tout de suite évacué l'idée de figurer la torture et la violence, alors qu'elles existaient et que c'était elles que je voulais dire. Quelque chose m'a amené à penser que la simple image d'une famille était plus forte, exprimait mieux ce qu'était l'Apartheid, interpelait plus en face les gens qui regarderaient.
Une image simple : des gens, voilà.
Si j'avais dessiné des gens torturés, ils n'étaient plus des gens. L'image aurait été évacuée comme étrangère à notre réalité. Il fallait que ce soit de plain-pied, comme pris en flagrant délit : voilà à quoi on nous associe, voilà ce que cache ce jumelage !

J'ai reçu des messages de soutien de membres du comité spécial des Nations Unies contre l'Apartheid qui m'ont demandé de travailler avec eux et ça m'a amené à bâtir avec le grand peintre espagnol Antonio Saura et le philosophe Jacques Derrida une structure appelée Artistes du monde contre l'Apartheid
C'était une centaine de tableaux qui circulaient de capitale en capitale avec une référence directe au Guernica de Picasso et on avait dit que ces toiles appartiendraient au premier gouvernement démocratique d'Afrique du Sud.
( Nelson Mandela, une fois enfin libéré, et élu à la tête de son pays, a voulu rencontrer Ernest Pignon-Ernest auquel il serra la main en disant : " Cette main, je ne me la laverai pas " ) 

Quelquefois, on m'a dit que je faisais des images en situation, mais en y réfléchissant je dirais non : je fais oeuvre de la situation. C'est à dire qu'aussi bien l'événement qui s'y inscrit devient un de ses éléments.
Pour Nice-Le Cap, c'est l'événement qui devient le moteur suggestif - et poétique, peut-on même dire - de mon intervention. "
                                                                                                 ***
        

Bientôt, la suite...



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10 février 2010 3 10 /02 /février /2010 10:53

Laissons-le se présenter :

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" J’ai eu le sentiment qu’après Picasso on ne pouvait plus peindre ! Donc, j’ai été écrasé par ce monstre. Pour moi, c’est le plus grand peintre de toute l’Histoire et si je suis devenu artiste c’est sûrement à cause de lui et c’est aussi à cause de lui que j’ai renoncé à peindre ...


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Le dessin est une chose plus simple, il peut être comme une chose intemporelle. Moi, j’essaie que les dessins soient investis et il y a bcp de choses qui passent par ce que je dessine et de la façon dont je le dessine. Et il n’y a qu’avec la technique de la sérigraphie, du papier, que je pouvais charger mon travail d’une qualité de dessin particulière. Le papier, et même le fusain on peut dire, parce que le fusain c’est du bois brûlé.

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Paris - Commune 1971

C’est en réfléchissant sur la Commune que j’ai trouvé la solution à ce que je veux dire, à cette espèce de relation avec les lieux. J’étais invité à une exposition sur le thème de la "semaine sanglante" de la Commune et très vite il m’est apparu qu’il y avait une espèce de contradiction de présenter dans une galerie une exposition sur la Commune de Paris et que, naturellement, il fallait l’inscrire dans les lieux, dans le réel, dans l’espace réel.
Donc j’ai fait une image de gisant qui était nourrie de plein de choses, même des morts de la Commune - car il y a des photos des morts de la Commune. C’est la première fois que j’ai trouvé cette technique de très grande sérigraphie, la première fois que j’ai fabriqué un écran de 2,50 m pour imprimer ça ; c’était dans le Vaucluse. J’ai collé ça dans des lieux qui avaient un lien direct avec la Commune, comme la Butte aux Cailles, le Père Lachaise, près du mur des Fédérés, le Sacré-Cœur,
1--Gisants-de-la-Commune1971.jpg

puis des lieux liés au combat pour la liberté, disons en gros, donc la libération de Paris, et des lieux liés à la guerre d’Algérie, notamment les quais de Seine d’où on a jeté des algériens en 61.
C’est là que j’ai compris comment, en inscrivant mes images dans un lieu, je stigmatisais les lieux en quelque sorte.
Je prenais le lieu à la fois - c’est le cas au métro Charonne - comme un objet plastique, c’est-à-dire ce trou dans la ville, ce qu’il infligeait aux images, cette espèce de rupture des corps collés sur les marches, cette espèce de violence qui était faite à l’image et en même temps pour ses qualités symboliques, le souvenir des morts du métro Charonne…


2--Metro-Charonne1971.jpg

 

 

Il y avait peu ce type d’intervention dans la rue, et encore en 66 quand j’ai fait des pochoirs en Provence.

Mon travail n’est pas un refus des galeries, du marché de l’Art et tout ça, le moteur n’est pas ça : c’est d’utiliser vraiment le lieu réel, le lieu du quotidien, pour le potentiel poétique et suggestif qu’il porte.
Au fond, la proposition plastique, ce n’est pas mon dessin, c’est plutôt ce que propose le dessin, une façon d’utiliser le réel comme matériau poétique.

Ce sont des choses comme ça auxquelles je tiens beaucoup : une espèce de simplicité matérielle; comme le dessin lui-même. "
                                                                          ***
Bientôt, la suite...




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30 janvier 2010 6 30 /01 /janvier /2010 12:48


- "Un  aphorisme ... qu'est-ce que c'est, en fait ? " me demandait récemment une amie.
- " Sentence renfermant un grand sens en peu de mots" , répond lapidairement le Littré.

J'aurais tendance à rapprocher l'art de l'aphorisme de celui du haïku, ce petit poème extrêmement bref visant à dire l'évanescence des choses.

Roland Jaccard , dans son " Dictionnaire du parfait cynique " (Ed. Zulma. 2007), en donne quelques savoureux exemples, illustrés par le facétieux Topor ; un régal !

Pas encore très réveillée tout à l'heure, et perplexe quant au sort à réserver à cette fin de matinée neigeouillarde (c'est blanc sur les feuilles et les arbres : il a dû neiger cette nuit, ça risque de recommencer et j'ai bien le droit d'inventer des mots !), j'effleurais d'un doigt et d'un oeil aussi las l'un que l'autre les étagères "poches" du couloir et m'arrêtai soudain sur ce titre approprié à mon humeur de chienne.
Je remets d'urgentes tâches ménagères aux calendes grecques (je veux dire : on verra ça demain) pour vous livrer ici la fine préface de l'auteur à son dico que je réserve à ladite ci-dessus amie :
                                                                  
                                                                        ***
 " " "
                                                  Une suspicion active

" Tous ceux qui écrivent des Pensées ou des Maximes sont des charlatans qui jettent de la poudre aux yeux " disait le prince de Ligne.   
       Traités de charlatans ou de prestidigitateurs, les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux.

       La forme discontinue dans laquelle ils s'expriment est une forme aristocratique ; elle apparaît en France au XVIè siècle, en même temps que s'essoufflent la théologie et la scolastique. Le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, le docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. Sa démarche est aux antipodes de celle du philosophe ; il se méfie de ce qui n'est pas concret ; le concept "homme" l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes.
       Ses aphorismes, pour qui sait en faire bon usage, sont des clefs pour ouvrir les psychismes, des rayons X pour scruter les âmes. Le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. Sa pensée est toujours inachevée. Hostile au système et fidèle à l'expérience, elle s'arrête au seuil de l'essentiel. Le moraliste n'aime pas expliquer. "S'appesantir, s'expliquer, démontrer, autant de formes de vulgarité", écrit Cioran. Sans compter l'ennui terrassant qu'éveillent ces questions -polies ou policières- comme : "Qu'avez-vous voulu dire exactement ?". La forme aphoristique exige une connivence de bon aloi ; son public est forcément limité, ce qui évite au moraliste d'être fréquenté par des fâcheux ou des rustres.

       Il y a cependant une catégorie de lecteurs qu'il redoute par-dessus tout et qu'il ne peut éviter ; ce sont ceux, fervents autant que désarmants, qui, le prenant au pied de la lettre, l'embaument et le figent dans ce qui lui est le plus étranger : l'esprit de système. Chamfort observait que le paresseux et l'homme médiocre s'accommodent d'une maxime qui les dispense d'aller au-delà et lui attribuent "une généralité que l'auteur, à moins qu'il ne soit lui-même médiocre, ce qui arrive quelques fois, n'a pas prétendu lui donner".
       Le moraliste juge vain de s'astreindre à une oeuvre ; "Il faut seulement, écrit Cioran, dire quelque chose qui puisse se mumurer à l'oreille d'un ivrogne ou d'un mourant." 

       L'art de l'aphorisme est l'art de la grande liberté, car il est l'art des sommets : les misérables consolations, les douteuses certitudes, les piètres illusions dont se bercent les humains ne résistent pas à l'altitude. Lorsque le promeneur solitaire aura gravi les écueils des montagnes, il rencontrera peut-être La Rochefoucauld, Chamfort, Nietzsche ou Cioran, ses frères en solitude, que la foule a chassés de ses villes et de ses villages, car elle les accusait de ne rien respecter, ni l'amour, ni la religion, ni la piété familiale, sans comprendre que c'est au nom d'une morale plus subtile, et souvent plus exigente, que ces moralistes hautains et sacrilèges avaient hissé le drapeau noir de l'immoraliste.
       On peut toutefois se demander, avec Michel Thévoz, s'il n'y a pas, au fond du cynisme, un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le coup à ses illusions.
       Il y a des crimes qui s'expliquent par une déception affective : mis en demeure de rectifier l'image d'une mère qu'il vénérait, le criminel se venge de son propre idéal en étranglant des jeunes filles. Ce pourrait être là la scène primitive du cynisme, défini comme un travail de deuil d'un idéal - avec cette précision : c'est la langue maternelle, plutôt que la mère, qui serait alors en cause.
       Effectivement, on peut imaginer un hédoniste, un mystique ou un amoureux silencieux, mais un cynique, jamais ; car le cynisme n'est ni une philosophie, ni une morale, ni même un trait de caractère, mais un rapport conflictuel au langage, une suspicion active, et souvent éloquente, à l'égard des mots et de l'idéologie dont on les sent infectés.

       " Danger du langage pour la liberté intellectuelle : toute parole est un préjugé " remarquait Nietzsche dans Le voyageur et son ombre ; le cynique, qui, justement, ne croit pas ou ne croit plus à la liberté intellectuelle, consacre paradoxalement la sienne à confondre le discours et à traquer son humanisme infus. Il s'amuse à prendre au mot les mots eux-mêmes, à défaire les idées par les idées, à démanteler pièce par pièce l'édifice du savoir, comme on épluche un oignon pour découvrir finalement que celui-ci n'était rien d'autre que les pelures sous lesquelles on le cherchait - long suicide d'un être de langage par l'arme du langage, verbalisant contre le discours, inlassablement. " " "
                                                                            ***

J'espère avoir titillé assez votre curiosité et je termine en vous précipitant dans l'abîme qu'Henrick Ibsen ouvre à 
notre réflexion sur un mot que j'aime : REBELLION, ainsi :

         Chercher le bonheur dans cette vie, c'est là le véritable esprit de rébellion    


 Topor 












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24 janvier 2010 7 24 /01 /janvier /2010 03:29

Je suis encore sous le choc du magnifique spectacle de Pippo Delbono :
"La mensogna", le mensonge,  vu  - ou plutôt "vécu"-  hier au théâtre du Rond-Point.

                                                                                                                                                               La-mensogna--Pippo-Delbono--1.jpg
 
Voici ce que la presse en disait après les premières représentations à Avignon :
 
"       En pénétrant dans l’usine ThyssenKrupp de Turin, calcinée après un incendie qui fit sept morts parmi les ouvriers, Pippo Delbono ne savait pas qu’il serait dans l’obligation de faire entendre le silence assourdissant qui l’enveloppait. Il ne savait pas qu’il convoquerait ses acteurs pour faire résonner ce qui n’est pas raisonnable, ce qui n’est pas audible. Il ne savait pas qu’il associerait aux images du réel celles de la fiction, en particulier celles du peintre Francis Bacon. Il ne savait pas qu’il s’interrogerait sur ses propres mensonges, sur ses propres omissions et se mettrait en scène dans un spectacle qui traverse toutes les formes de théâtralité. Comme toujours chez Pippo Delbono, les corps sont au centre : corps à la présence massive occupant tout l’espace ou silhouettes en clair-obscur, traversant les zones d’ombre d’un plateau où la mort rôde et s’agite ; corps qui disent l’intranquillité, le déséquilibre, la violence des rapports, dans et hors l’usine. Simulacres, travestissements, jeux de masques et accompagnements musicaux mêlant Wagner à Stravinski sont mis au service d’une fable moderne qui joue des brisures et des cassures, interdisant toute connivence paisible entre acteurs et spectateurs. C’est un théâtre lié à la vie qui s’exprime ici, un théâtre à la fois civique et fantasmatique. Un théâtre où Pippo Delbono lui-même se met à nu au milieu de ses fidèles et étonnants comédiens, dont la présence rayonnante rappelle par instants celle des interprètes de Pina Bausch ou de Tadeusz Kantor. Un théâtre du risque et de l’inconfort qui sait aussi faire la part belle à la tendresse et à l’émotion, à la douceur d’un corps exposé. Créant le trouble, offrant des images inoubliables, il se développe comme un long cri aux intensités multiples, un cri d’amour et de rage. "(Jean-François Perrier)
" La mort traverse le théâtre de Pippo Delbono. Dans La Mensogna ("Le Mensonge"), elle occupe tout, le temps, l'espace, les corps et les voix. Ce spectacle est né en 2008, après l'incendie de l'usine Thyssen-Krupp de Turin, dans lequel six ouvriers ont péri, le 6 décembre 2007. Pippo Delbono est allé dans l'usine, il a rencontré des ouvriers.
 
Au début de La Mensogna, on voit des hommes et des femmes dans des vestiaires. Ils ouvrent et ferment leurs armoires, enfilent ou enlèvent leurs combinaisons, viennent chercher quelque chose à manger, s'asseyent sur un fauteuil usé, posent leur vélo. Le dernier d'entre eux met un costume noir et prend un bouquet de fleurs en verre. Il traverse le plateau, accroche une fleur à sa boutonnière, dépoussière calmement ses chaussures, s'allonge dans une tombe, pose le bouquet sur son coeur.
Puis vient la voix de Pippo Delbono : "Excusez-moi, je n'arrive pas à éprouver de la douleur pour les morts lointaines, seulement de la pitié." Il dit que quand son père est mort, usé d'avoir travaillé pour nourrir sa famille, il n'a pas ressenti de douleur. Mais il a peur de l'inconnu qui l'attend à sa propre mort. Autant que sa voix, c'est sa respiration que l'on entend.

Elle résonne dans le micro comme un souffle apeuré et puissant, partagé entre ce qui le détruit et ce qui le pousse à vivre. A un moment, ce souffle va enfler et soutenir un cri hurlant semblable aux aboiements des chiens. Des spectateurs mettront alors les mains sur les oreilles pour résister à ce déchirement paroxystique accentué par la musique de l'ouverture de Tannhaüser, de Wagner, à fond.

Voilà de quoi est fait Le Mensonge, un spectacle déchirant, en noir et blanc. Noir des costumes et des masques, blanc de la chair nue et des flashs des photos que Pippo Delbono prend avec son téléphone portable.

Sur le plateau, on retrouve l'humanité qui accompagne les spectacles de l'Italien : des comédiens de profession et des gens comme Gianluca, trisomique, ou Bobo, microcéphale interné pendant quarante-cinq ans et devenu, grâce à Pippo, qui l'a sorti de l'asile, une des plus belles personnes qu'il soit donné de voir.

Désir de tout casser

Chacun a sa partition dans ce spectacle hanté par l'exploitation économique, le mensonge politique et le désir de tout casser dans une Italie où les prêtres s'allient avec un exhibitionnisme sordide au grand capital, dans une danse affreusement macabre.

A la fin, Pippo Delbono s'offre, nu comme un ver, tout près des spectateurs, en pleine lumière. On mesure la violence qu'il s'impose à son regard, qui met longtemps à affronter celui du public. Puis il s'en va vers le fond du plateau, là où les ouvriers entraient dans le noir de l'usine.

En frac et noeud papillon, Bobo vient le chercher. Il lui tend ses vêtements, le prend par la main, le fait s'habiller et l'emmène sur le devant du plateau. Juliette Gréco chante une douce chanson d'amour. Les deux hommes sont face aux spectateurs. "Parfois, je voudrais avoir la surdité de Bobo", a dit Pippo Delbono. Il termine en demandant pardon à son père, à qui il dédie le spectacle. "

...............................................

                                                               La-mensogna--Pippo-Delbono--2.jpg

Et ce qu'en dit  Pippo Delbono lui-même :

 
"Je ne suis ni un pessimiste, ni un désespéré. Je souhaite simplement que nous soyons plus lucides sur ce qui se passe autour de nous"
Peut-on accepter de vivre sous la domination du mensonge ?"
 
Dans ce nouveau spectacle, Pippo Delbono pousse un coup de gueule face au double langage des politiques et des médias. 
À l’origine de La Menzogna, il y a l’incendie de l’usine Thyssen-Krupp à Turin dans lequel périrent sept ouvriers. L’entreprise a refusé d’indemniser les familles en argumentant que les ouvriers étaient responsables de l’incendie. Pendant ce temps-là, la télévision exploitait les images du drame pour faire pleurer dans les chaumières. Partout, constate Pippo Delbono, règne le double langage : on dit une chose et on en fait une autre. À quoi servent l’émotion, le pathétique, si personne n’assume ses responsabilités ? Du coup, la réalité prend des allures de labyrinthe kafkaïen et cela à tous les niveaux de la société. On encourage le racisme. L’Eglise condamne l’homosexualité... Alors avec un minimum de mots, entouré de ses fidèles comédiens, Pippo Delbono invente des stratégies poétiques libératrices. 
Histoire de réveiller le public afin que chacun réagisse et rompe le cercle de la passivité.
(Th du Rond-Point). 
 
Infos pratiques :  du Mercredi 20 janvier au 6 février 2010  - 20h30
                             Théâtre du Rond-Point,  Salle Renaud-Barrault
                             2b av. Franklin Roosevelt   Paris 8ème (M° Champs Elysées)

Allez-y prendre un grand coup sur la tête, dans les tripes et au coeur...
Pippo Delbono nous tient " debout dans ce monde (qu'on a) assis "
(ça, c'est du Ferré...)







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16 janvier 2010 6 16 /01 /janvier /2010 11:58

                                                      Membracide-1-copie-1.jpg

Hé bien pas moi, désolée !
Levée tard après une soirée un tantinet agitée - je n'ai pas dit arrosée, hein !, je zappais ce matin entre deux baillements et je suis restée scotchée sur Arte (chaîne qu'il faudrait vite créer si elle n'existait pas) en voyant de grands malades qui, armés de lance-pierres, essayaient de placer, très haut dans un arbre de la forêt tropicale humide de l'Equateur, des pièges destinés à capturer des... membracides.

" Membracides" ... 
? Qué es eso ?

Des insectes minuscules aux formes délirantes dont la famille compte plus de 3500 espèces, voire 5000 selon le Dr Stuart Mc Kamey qui dirige une expédition internationale en Amazonie pour comprendre les stratégies de survie des membracides et en inventorier le plus grand nombre d'espèces possible.
Soit dit en passant, les valeureux scientifiques sont équipés d'un matériel sophistiqué, mais leurs essais infructueux incitent un autochtone impatient à grimper pedibus jambis dans l'arbre immense qu'il escalade vivement pour placer sur une branche maîtresse ledit piège à membracides et effectuer une impeccable descente-éclair... Impressionnant ! Le ridicule ne tue pas les scientifiques qui ont d'autres compétences, mais quand même...

Ils estiment que ces animaux peuplent la surface de la planète depuis plus de 40 millions d'années...
Comment ont-ils pu survivre ? Car la vie des membracides n'est pas un long fleuve tranquille !

Ces insectes sont exclusivement végétariens. Ils pompent la sève des végétaux grâce à leurs pièces buccales spécialisées : les stylets. Ils s'accrochent aux feuilles via de fortes pinces, percent les parois végétales avec leur puissante pompe suceuse et régurgitent une partie de sève sous forme de goutte ambrée : le miellat, riche en sucre, en protéines et en acides aminés, qui sert de nourriture à d'autres insectes tels que leurs copines fourmis, mais aussi à tous les hyménoptères.

Stratégie de survie n°1 des membracides, un deal : nourriture contre protection,
Les mères membracides protègent leurs lymphes jusqu'à leur transformation qui se fait sous la haute bienveillance des fourmis intéressées par le miellat qu'elles viennent butiner en titillant gentiment l'abdomen des membracides qui leur délivrent un précieux goutte-à-goutte.

Stratégie de survie n°2
: donner l'alerte
Le moyen est bien connu des Huaramis locaux : ils tapent sur des troncs d'arbre pour communiquer, tout comme les membracides qui donnent des coups secs sur les tiges des plantes qu'ils font vibrer ! Mais certaines abeilles captent leurs vibrations, attirées par le miellat ; danger !

Stratégie de survie n°3
: l'union fait la force.
Car il y a des parasites à foison, telle la guèpe qui pond ses lentes à l'intérieur des larves de membracides pour assurer la nourriture de sa progéniture. La femelle membracide, en pondant, émet des susbstances qui incitent d'autres espèces à pondre à proximité, multipliant ainsi les chances de survie des larves qui ne sont alors pas les seules proies appétentes pour les prédateurs.
La mère surveille sa ponte et ses larves, tout en pratiquant dans la tige des plantes de petits trous destinés à faciliter l'écoulement de la sève nourricière.

Stratégie de survie n°4 : se défendre avec des sons.
Les techniques de pointe en matière de son, liées à l'imagination des scientifiques opiniâtres permettent d'incroyables expériences. Ainsi, le bricolage insensé de pièces d'un vieux gramophone les a conduits à fabriquer de minuscules microphones de contact avec lesquels ils ont pu enregistrer des roucoulades de parades amoureuses ou les manoeuvres dissuasives des femelles qui activent les membranes de leurs ailes, tant pour faire fuir les prédateurs que pour communiquer avec leurs larves. Elles réagissent même contre le pinceau du scientifique auquel elles appliquent un bon coup !  
Les membracides organisent en revanche des soirées cocktail où les chercheurs croûlent sous des sons à foison.

Ces insectes, qui doivent aussi  filtrer les sons parasites des autes espèces, témoignent d'un très haut niveau de communication et de socialisation !  

Stratégie de survie n°5 : s'adapter collectivement à son biotope.
Les premières expériences scientifiques ont été menées dans la canopée inondée de soleil, aux 2300m d'altitude de la Cordillière des Andes, situation agréable aux membracides, même si l'on y trouve peu de leurs amies foumis.
Autre milieu, à 1328m en dessous, 5h du matin, par 30° humides, dans une forêt de montagne vers Quito où les conditions sont tout autres ; c'est la forêt des brouillards à la végétation luxuriante mais à l'environnement plus rude pour nos bestioles qui subissent davantage les variations de temps. 
En revanche, des fourmis à la pelle, donc associations, d'où survie. Ainsi, lorsque l'on émet le bruit d'une mère en défense devant les fourmis, elles se précipitent et attaquent...le micro !
Par ailleurs, si l'on enregistre le bruit de la femelle sur une plante, le mâle, d'abord désorienté, la cherche, puis ... prend l'appareil de diffusion pour une belle !

Ici, les scientifiques ne voient rien, mais ils captent : "Au secours" ou "Venez ici, il y a à manger".
Et pour la noce, alors là, c'est toute une affaire et l'on reste pantois d'émerveillement devant les étranges et fascinantes chansons qu'entonnent les mâles, une fois la belle localisée : corne de brume, sublime chant de sirène - pardon !- de baleine, cocasse coassement de grenouille, coquet caquetage d'oiseau, chant d'amour fou mais un peu ridicule (!), comme le bruit d'un petit ballon qui se dégonflerait. Et cet autre, à final suspect comme un cri d'Alien.

Les membracides "parlent" sur la même fréquence que nous mais nous restent inaudibles sans matériel sophistiqué. On a pourtant beaucoup à apprendre d'eux : ils échangent, entre eux, avec les plantes, avec la biosphère et c'est ainsi qu'ils ont pu survivre depuis 40 millions d'années, dans une merveilleuse fantasmagorie de formes et de couleurs !

                                                                     ********************************  
                                                Menbracides 2  
1) La forêt amazonienne regorge de ces animaux fantastiques à l'image des membracides : branche d'arbre ?

                                                Membracide-3-Smerdalea-mmimens.jpg
2)  Ce mini monstre à la physionomie étrange est doté d'un pronotum, une excroissance sur le dos : les membracides émettent des sons basés sur des fréquences comprises entre 500 et 2000 hertz et, comme ils n'ont pas d'oreilles, ils véhiculent, grâce aux plantes, leurs messages sonores qui se transforment en ondes perçues par ce pronotum. 

                                    Membracide--4-Bocydium-globulaire.jpg
3) Bocydium globulaire dispose d'un appendice particulier juché en haut de sa tête. Plusieurs bulbes velus garnissent son pronotum, ce ne sont en aucun cas des yeux.

                                    Membracide-6--Ponte-protegee-par-les-fourmis.jpg
4) Pour pondre, les femelles Gerridius fowleri se regroupent sur une même tige. Elles couvent ensuite leur œufs sous la protection de fourmis.

                                     Membracide-8---Heteronotus-nigrogiganteus-femelle.jpg 
5)  La femelle Heteronotus nigrogiganteus possède des épines surdimensionnées qui servent à mettre en garde les éventuels prédateurs !

                                     Membracide 10- Ulmbelligerus peruviensis à pronotum à ram
6)  Cette espèce de membracide, Umbelligerus peruviensis, possède un pronotum très atypique. Il forme des ramages sur la tête de l'insecte semblables à des serres,dissuadant ainsi les prédateurs -comme les oiseaux- de l'avaler, car il passe difficilement dans le gosier !

                                     Membracide 11- Hemikypta- vestige de la préhistoire
7)  Un vrai petit diable celui-là ! Hémikyptha, vrai vestige de la préhistoire !

                                     Membracide 12- feuille morte
8) Certains membracides poussent le mimétisme avec leur environnement au point de ressembler à une feuille-morte sur place.

                                     Membracide 13- Enchophyllum cruentarum
9) Enchophyllum cruentatum utilise des couleurs vives, rouge et orange, pour faire croire aux prédateurs qu'il est du poison. Malin !

                                     Membracide 15
10)  Les membracides sont les champions du camouflage. Les chromatophores, des cellules pigmentaires, leur permettent de prendre la couleur de leur habit pour s'y confondre.

                                     Membracide 17- 
11)  En échange du miellat sécrété par les membracides, les fourmis leur apportent sécurité et protection surtout au moment de la ponte des œufs : "association à bénéfice mutuel".

                                     Membracides 20- Suceurs
12) Grossis plusieurs milliers de fois grâce au microscope électronique, ces stylets avec leurs minuscules dents semblent prêts à percer une feuille.

                                     Membracide 19-
13)  Grâce aux images prises au scanner, les scientifiques constatent que le pronotum des membracides est généralement vide. On n'a pas encore percé les secrets de cet organe essentiel à la communication entre membracides...

                                                    ********************
                                                Pour en voir et savoir plus :

--- Le reportage d'Arte était produit par Quincy Russell.

--- Une exposition "Mini monstres" se tient à la Bibliothèque de la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette depuis le 10 Janvier jusqu'à fin Février 2010.

--- Les superbes photos sont en majesté sur le site de Patrick Landmann : 
     http://patricklandmann.com

--- "Mini-monstres", un livre du même Patrick Landmann, Thierry Berrod et Yves Paccalet, a été édité  chez J. Di Sciullo. Terre des Sciences, paru le 24 Octobre 2009 (25 E)

                                                      ********************


A méditer : " Les espèces ne sont pas immuables, tout comme les idées. "
                     Charles DARWIN

A noter   : les membracides ne vivent que trois mois et se font la cour pendant 24 heures...
                ça ne vous complexe pas ?

On peut écouter deux audios sidérants de leurs "vocalises" sur ce lien :
http://monalisanews.blogspot.com/2009/11/mini-monstres-en-amazonie-chants-de.html       

                                                   ***


                                       



 


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11 janvier 2010 1 11 /01 /janvier /2010 02:54

Voici la présentation par la Compagnie Play Time  :   
 
                                                            L-augmentation-PEREC--du-8-Janv-au-7-Fevr-2010-002.jpg
..................................................................................................................................................................... 

"L'augmentation" ou
" Comment, quelles que soient les conditions sanitaires, psychologiques, climatiques, économiques ou autres, mettre le maximum de chances de votre côté en demandant à votre chef un réajustement de votre salaire".

Représentations : Jeudi, vendredi, samedi 20h30 et Dimanche 15h30
Réservations : tél. 01 44 75 60 31 Mail : theatredouze@laligue.org   
Théâtre Douze  6 avenue Maurice Ravel  Paris 12ème

Auteur > Georges Perec
Mise en scène > Christine Defay
Comédiens > Chri...stine Defay, Mechtilde Keryhuel,Rozenn Tregoat
Scénographie > Chimène Barros
Costumes > Myriam Rault
Création Sonore > Céline Mahé
Lumière > Ronan Cabon

"A ne pas rater pour voir la crise actuelle et celles à venir de façon engagée."

"Christine Defay, comédienne issue de l'École Lecoq et dont c'est ici la première mise en scène, nous entraîne dans les méandres de l'Augmentation en y associant l'univers décalé et drôle de Tati, où les mots de Perec se jouent sur une partition chorégraphiée. Une inquiétante machine bureaucratique au milieu de laquelle l'individu s'efforce d'exister. Elle est co-dirige Playtime compagnie avec Céline Mahé, photographe, vidéaste et auteur."
...................................................................................................................................................................


J'ai eu l'honneur -et le bonheur- d'assister à la Première Vendredi 8 Janvier 2010 : un régal !

Pour qui s'est déjà confronté à ce texte de Georges Perec, la performance des trois actrices sera d'autant plus appréciée, mais pour qui le découvrira ce sera une jubilation !
L'adaptation restitue parfaitement la folle entreprise de l'employé(e) lambda noyé dans les difficultés de plus en plus insurmontables qui s'opposent - évidemment ! - à la réussite de son projet pourtant raisonnable de demander une augmentation à son supérieur hiérarchique...

Tant Queneau que Perec, éminents oulipiens (OuLiPo = Ouvroir de la Littérature Potentielle) se sont tous deux appliqués à se poser la question des limites de la littérature et Perec a ici réalisé magistralement son projet d"arriver à un texte réellement linéaire donc totalement illisible " en poussant le défi jusqu'à supprimer la ponctuation.

" Disons pour simplifier car il faut toujours simplifier " que Perec nous embarque dans une aventure de plus en plus loufoque qui répond néanmoins à une implacable logique, celle ... de la lutte des classes !
La complexité quasiment kafkaïenne des situations, exposée crescendo et hypothèse par hypothèse, englue le personnage dans l'inévitable report sine die de son projet...

Ce texte, pourtant écrit et publié en fin des 60's où le patronat était encore très paternaliste, est d'une très étonnante actualité, mais ne soyez pas rebutés à l'idée d'un quelconque didactisme : tout est d'une absolue drôlerie que la mise en scène de Christine Defay révèle par des inventivités hilarantes !
La compagnie s'est nommée "Play Time" en référence et par révérence envers l'univers décalé de Jacques Tati, c'est tout dire...

Sortir de ce spectacle incite à la (re)lecture de L'Augmentation et l'on privilégiera la réédition de Novembre 2008 chez Hachette pour la postface de Bernard Magné dont le texte n'est pas moins drôle que celui qu'il vient éclairer.
                                                 L-augmentation-PEREC.jpg

NB : Paulette Perec a assisté à la Première et elle a écrit dans le Livre d'Or du spectacle un commentaire très élogieux... 






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4 janvier 2010 1 04 /01 /janvier /2010 23:40

J'avoue, M'sieurs Dames... Noël, Pâques et Roch Ashana, 'Ashoura ainsi que tous les autres 1er de l'An ... ça m'gave !!!

Difficile à éviter tout de même sans passer pour une immonde indifférente, alors je me contenterai cette fois-ci de cette superbe photo prise il y a longtemps par l'excellent photographe Armand Borlant.

                                              Voeux--PNG     

Notons qu'il est le neveu de Robert Bober, berlinois qui avait fui le nazisme, écrivain, cinéaste (il a été l'assistant de Truffaut), co-réalisateur avec Georges Perec des " Récits d'Ellis Island " et, entre autres films, du très émouvant documentaire sur la rue de l'enfance de Georges Perec : " En remontant la rue Vilin " (voir sur ce blog l'article du 22 Novembre 2009). 

Robert-Bober.jpg

Que ces deux enfants, aux visages l'un rieur l'autre grave, nous rappellent que la vie est dure pour certains, douce pour d'autres, mais toujours pleine de promesses à tenir, de joies à prendre et surtout d'ignominies à combattre.

Sur ce, Joyeuses Pâques, oups : B O N N E   A N N E E   !  !  ! 


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28 décembre 2009 1 28 /12 /décembre /2009 15:21



Rappelons-nous cet homme, face à la caméra de Claude Lanzmann,  racontant dans Shoah, avec une émotion intacte, l'échec de sa mission...
Il était polonais.
Il était résistant.
En 1942, il avait pénétré clandestinement dans le ghetto de Varsovie, guidé par deux résistants juifs qui qui le chargent de raconter aux Alliés ce qu'il y a découvert : les nazis ont entrepris d'exterminer tous les juifs d'Europe !

Il a rencontré les plus haut placés des Alliés.
Il leur a délivré ses informations.

Les Alliés savaient donc, dès 1942, mais les Alliés n'ont RIEN FAIT...


Yannick Haenel écrit en trois temps, comme dans une tragédie grecque.

1 - Il retranscrit les propos de Jan Karski devant la caméra de Lanzmann.
2 - Il résume la vie et l'itinéraire de Jan Karski tels que ce dernier les relate dès 1944 dans son propre livre.
3 - Il se met en complète empathie avec lui, utilisant le "Je" fictionnel pour supposer le désespoir de ce témoin  - de ce "juste" -  qui n'a pas réussi, malgré de nombreuses conférences aux Etats-Unis, à convaincre de sinon interrompre du moins freiner le processus d'extermination quand il en était encore temps. 

Yan Karski passe le reste de sa vie " dans la lueur assombrie d'une victoire ", comme professeur d'Histoire contemporaine, relié à son passé par la seule contemplation, au musée, du magnifique petit tableau de Rembrandt intitulé : "Le cavalier polonais", car le choix de la Pologne par les nazis pour y construire la plupart des camps d'extermination des juifs a aussi anéanti la Pologne ... que les Alliés n'ont pas sauvée non plus !

Rembrandt- Le cavalier polonais

Le narrateur rappelle qu'à Londres, le seul à écouter vraiment Karski a été Szmul Zygielbojm, qui a ensuite déclaré à la BBC :
" Ce sera bientôt une honte de vivre et d'appartenir à l'espèce humaine si des mesures ne sont pas prises pour faire cesser le plus grand crime de l'histoire humaine "  et ... il s'est suicidé.
Comme beaucoup plus tard Arthur Koestler.  

Je pense aussi à Primo Levi qui, des années après ses terribles expériences des camps de Fossoli puis Monowitz à 10 kilomètres d'Auschwitz et son Odyssée de Katovice à Turin à travers la Biélorussie et la Roumanie, passe sa vie à témoigner et finit par se suicider à son domicile en 1987...

Je ne peux décidément pas parler davantage de ce livre puissant et bouleversant (qui suscite des polémiques, et c'est tant mieux, car il faut parler de tout cela encore et toujours, pour ne pas oublier).
Il faut simplement le lire, si ce n'est déjà fait ; de toute urgence en se posant cette question :.

" Comment un monde qui a laissé faire l'extermination des juifs peut-il se prétendre libre ? "

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Yannick Haenel : "Jan Karski. roman "      NRF. Collection L'infini. Gallimard (Mai 2009)
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Jan Karski          : " Story of a secret State "      Emery Reeves. New York, 1944
                                Traduit en français en 1948 " Histoire d'un état secret "
                                réédité par les éd. Point de Mire. Collec Histoire : " Mon témoignage devant le monde ". 2004
............................................................................................................................................................


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